Thierry Teboul (Afdas) : « Nous rentrons dans une période compliquée »

    Thierry Teboul 

    Le directeur général de l’Afdas évoque des perspectives délicates pour l’opérateur de compétences en 2025 et le besoin d’être créatif pour pallier des fonds publics en baisse et des besoins de formation en hausse. Propos recueillis par Jérôme Vallette

    2024 a-t-elle été une bonne année pour l’AFDAS ?
    C’est, en tous les cas, une année qui est conforme aux tendances : l’augmentation du nombre d’apprentis, y compris dans le spectacle vivant, et avec de plus en plus d’adéquation entre ce que l’offre de formation permet et la façon dont les employeurs peuvent recruter des apprentis. L’alternance se développe dans notre secteur, c’est un sujet intéressant sur des métiers rares, et les organismes de formation comprennent que s’ils veulent faire de l’alternance ils doivent s’adapter.

    Et les perspectives pour les années suivantes ?
    L’année 2025 annonce de vraies difficultés sur le sujet avec une forme de déremboursement de l’apprentissage. Quand on retombe, après les aides Covid et post-Covid, au niveau de financement de droit commun, et c’est moins facile. Ensuite, il y a une tendance qualitative sur les formations. On voit apparaître de vrais sujets sur le management, particulièrement dans le spectacle vivant, avec un vrai questionnement : c’est quoi se former au management dans nos organisations ?

    D’autant que les modèles semblent bouger…
    Oui, sur les grandes mutations économiques et sociales, nous sentons qu’il y a la volonté de se poser deux secondes, de passer de la phase de sensibilisation à une vraie phase d’action. Deux sujets touchent en particulier le spectacle vivant : l’intelligence artificielle générative, qui impacte aussi des métiers du spectacle, comme la billetterie. Et l’immersif, dans un spectacle vivant, augmenté, qui nécessite de nouvelles compétences. Ce sont des orientations pour plusieurs années. Mais il y a par ailleurs un gros sujet sur les modèles économiques du spectacle vivant. On voit que le désengagement de l’État nécessite de revoir les modèles, de réfléchir à de nouvelles formes de commercialisation, de nouveaux fonds pour financer ses événements, par exemple. Et ce sont de nouveaux sujets de formation, par exemple pour les professionnels des festivals. 

    Cela impacte votre activité ?
    Oui, avec une baisse des subventions de l’État à la formation, qui a soutenu le secteur dans la crise et dans sa reprise, et qui nous demande de fonctionner plus sur nos fonds propres que sur des aides conditionnalisées. Cela devient compliqué de trouver un équilibre entre nos capacités de financement et les demandes croissantes du secteur. Car il y a une explosion des demandes de formation des intermittents du spectacle (entre 20 et 30 % en 2024 et 2025) et des artistes-auteurs. Et aujourd’hui, nous n’avons pas les ressources qui permettraient de faire face à toutes ces demandes. Nous allons rentrer dans un cycle de régulation qui va nous obliger à prendre des mesures un peu radicales, toutes choses égales par ailleurs, soit avec autant de gens en formation, mais un peu moins de temps de formation, soit en régulant un peu les dispositifs en travaillant sur les conditions d’accès. 

    Comment analysez-vous cette forte demande ?
    S’il y a un peu moins de travail, cela réinterroge chacun sur ses besoins pour rester employable sur un marché qui évolue vite. On voit que les aides aux productions commencent à baisser dans le spectacle. Les intermittents le sentent. Et, paradoxalement, ce n’est pas quand les choses vont bien que l’on se forme. 

    Est-ce inquiétant ?
    Nous rentrons dans une période compliquée. Nous sommes au bout d’un cycle, mais il faut être créatif : il y a plein d’opportunités de changer la manière de se former, de construire les programmes de formation, voire de les financer. Mais je suis inquiet de l’amalgame qui peut être fait entre notre utilité politique et sociale et le fait qu’on puisse nous remplacer par une structure guichet. 

    Pourquoi ?
    La valeur ajoutée de l’Afdas n’est pas dans sa fonction de guichet, mais dans le conseil qui est essentiel. Nous ne sommes pas qu’un banquier de la formation. Et ça, désormais, nous devons le démontrer tous les jours. Il y a quand même une vigilance à avoir. Posons-nous plutôt la question, dans ce moment de concours Lépine pour supprimer des opérateurs : si l’Afdas n’existait pas, que se passerait-il ? Car nous servons réellement à quelque chose dans la chaîne de valeur. De fait, nous travaillons sur l’offre de service. Si nous ne sommes plus capables de financer à hauteur de ce qu’on faisait, c’est essentiel.  Nous ne sommes plus dans une phase de croissance. Mais nous avons plein de possibilités. L’hybridation des programmes de formation constituera un des moyens majeurs pour essayer de compenser une baisse ou une stagnation de nos ressources. Et nous avons déjà des expériences concluantes. 

    Propos recueillis par Jérôme Vallette

    En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°590

    Crédit photo : Moland Fengkov