Théâtres de ville : « Les scènes publiques doivent agir avec prudence»

    Cécile Le Vaguerèse-Marie et Frédéric Maurin

    Entretien avec Cécile Le Vaguerèse-Marie et Frédéric Maurin, coprésidents du Syndicat national des scènes publiques (SNSP)

    Quelle est la position SNSP sur le paiement des cessions annulées ?
    Frédéric Maurin : La même que celle de de l’Usep-SV : dans la mesure du possible, payer le coût de cession. Cela veut dire aussi qu’on raisonne au cas par cas. Même si la clause de service de rendu est levée, il y a une diversité de statuts et il arrive que des exécutifs de collectivités territoriales ne souhaitent pas que les contrats soient honorés.
    Cécile Le Vaguerèse-Marie : Au début de la crise, tout le monde disait qu’il fallait payer les cessions. Et nous sommes d’accord sur ce principe. Mais la facture commence à s’alourdir. Nous avons des retours d’adhérents, depuis huit jours, à propos de maires qui demandent de ne pas sortir les plaquettes de la prochaine saison, disant qu’il n’y a pas de visibilité sur la perte financière. On peut imaginer qu’à la fin de l’année, des maires prennent la décision de suspendre certains versements.
    F. M. : Nous avons obtenu des engagements de grosses collectivités territoriales que les budgets 2020 ne seraient pas touchés. Mais pour les micro-collectivités et les petites intercommunalités, on voit que certains porteurs de projets vont payer cash la crise.

    C’est aussi l’effet du report des élections municipales ?
    C. LV-M. :
    Oui, cela joue beaucoup sur les retards de décisions. Nous travaillons avec les adhérents au cas par cas. On a entendu des artistes pointer du doigt certains adhérents qui ne pouvaient pas payer les cessions, alors que l’ordonnance le permettant n’a été publiée que le 25 mars. Il y a une méconnaissance des statuts des théâtres de ville qui sont souvent en régie directe, où le directeur ne peut pas décider seul. Les directeurs de théâtres de ville ne sont pas des « patrons ».
    F. M. : Des villes se retrouvent avec des maires qui ne souhaitaient pas proroger leur mandat, d’autres avec des maires qui étaient en ballotage défavorable après le premier tour... En plus, la loi Notre a réorganisé nos territoires. Nous avons des communautés de communes toutes neuves de 40 à 50 communes qui se retrouvent dans un cas de figure inédit : elles ne peuvent pas installer leurs exécutifs. Elles sont, de plus, face à une priorité de santé publique. Dans cette situation, même des lieux labellisés naviguent à vue et si un élu leur conseille la prudence, ils en tiennent compte. Nous travaillons sur ces sujets avec les fédérations d’élus, comme la FNCC et l’AMF, mais elles non plus, ne sont pas en ordre de marche.

    Faut-il gonfler les saisons 2020-2021, pour accueillir les dates reportées ?
    C. LV-M. :
    Il faut être bons gestionnaires. Nous ne sommes pas arc-boutés face aux élus. On voit les priorités : écoles, Ephad... Tout le monde devra faire des efforts.
    F. M. : Un report sur le dernier trimestre de l’année civile 2020 d’accord, si cela entre  dans les budgets. Ensuite, on n’a aucune visibilité budgétaire sécurisée pour mettre du surnuméraire. Il faut prendre en compte un autre enjeu : les théâtres de villes et scènes conventionnées portent aussi de la création artistique. Elles risquent d’être la variable d’ajustement. Certains diront : « Arrêtez le soutien aux résidences, ce n’est pas catastrophique. » Si, ce serait catastrophique.
    C. LV-M. : Les reports prennent la place d’autres spectacles. Or nous ne pourrons pas augmenter la programmation. Nous sommes aussi confrontés aux difficultés de mobilité internationale des artistes.

    Faut-il prévoir des clauses de dédits pour prévenir les risques de fermeture ?
    F. M. :
    Tout le monde va être très vigilant, mais nous ne sommes pas dans une économie avec des engagements de plusieurs centaines de milliers d’euros. C’est vrai qu’on va être plus prudent dans la contractualisation de la saison 2020-21, il faut faire attention.

    Comment ressentez-vous l’annulation d’Avignon ?
    F. M. :
    Ceux qui vont prendre le plus cher, ce sont les compagnies indépendantes. L’économie du spectacle de divertissement prendra aussi un coup dur. Nous accompagnons une équipe qui avait un programme depuis deux ans, avec une exploitation au 11 Gilgamesh en 2020 (théâtre du Off d’Avignon) et toute une stratégie autour de la diffusion s’écroule. Il y a aussi une charge mentale négative.

    Propos recueillis par Yves Perennou

    En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°470

    Crédit photo : D. R.