Spectacle et prisons, l’expertise française 

    Angelin Preljocaj

    « A notre connaissance, la France est le seul pays ayant “institutionnalisé” les projets artistiques en détention », écrit Sylvie Frigon, Professeure titulaire et directrice du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa à propos de l’action de la compagnie Point Virgule de la chorégraphe Claire Jenny. Un constat qui s’apprécie à la lueur de la polémique déclenchée le 14 août à propos de la troisième saison de la série diffusée sur le Web depuis trois ans et baptisée Kohlantess (mélange de « Koh-Lanta » et du mot verlan pour « cité »). Or le spectacle vivant, et particulièrement la danse, ont développé en France une véritable expertise en matière d’intervention en milieu carcéral, qu’on peut considérer comme un investissement artistique. Il trouve relais auprès d’acteurs majeurs, comme récemment le Théâtre national de L’Odéon, qui présentait le 11 juin Fresnes sur scène, spectacle pour 7 détenus, remises de peine à la clef, né des ateliers de pratique artistique au centre pénitentiaire de Fresnes dirigés par la chorégraphe Lou Cantor et la comédienne Marie Piemontese. « Fresnes aime beaucoup ce genre d’action mais les conditions y compris de réalisation y sont particulièrement difficiles », rappelle Lou Cantor.

    La chorégraphe peut comparer : le 15 octobre, à la MAVO (Maison d’arrêt du Val-d’Oise) et, le 18 novembre au Théâtre Firmin-Gémier à Antony, elle présentait sa création Les Danse du Crépuscule pour 8 hommes détenus, entre 24 et 42 ans. « Il s’agissait de montrer leur rencontre avec un certain Mozart », raconte-t-elle avec autant d’amusement que de tendresse. « Ils ont… Nous avons bossé comme des malades, 4 jours par semaine pendant 8 semaines pour un faire un vrai spectacle, pour des représentations pour lesquels ils ont été payés ». À la MAVO, un bâtiment est dévolu à ces activités, à Fresnes, le lieu permet beaucoup moins l’intimité nécessaire à la création, pourtant le résultat a été comparable : des détenus reprenant confiance et estime en eux, contact avec les autres et s’impliquent dans un projet dont ils sont fiers.

    Angelin Preljocaj, dont l’intervention à la Prison des Baumettes à Marseille a donné lieu à un film de Valérie Müller et à deux séries de représentations (en 2019, au Pavillon noir, à Aix-en-Provence, puis au festival Montpellier Danse) insiste sur cette dimension : « Dès le départ, je voulais un rendu public, donc il fallait des longues peines. Parce que pour sortir, il faut que les détenues aient effectué la moitié de leur peine. Donc il y avait des choses graves. C’est le service d’insertion [SPIP, Service pénitentiaire d’insertion et de probation qui est responsable de la coordination culturelle, NDLA ] qui m’a orienté vers les femmes parce qu’elles sont plus assidues et que c’était important pour moi. » Le premier atelier, 20 candidates. Puis 7 ou 8 et au final 5. Mais lorsque l’une des détenues a été en entretien avec un employeur, elle lui à montré le film, quant à une autre, « elle a pu revoir son fils parce maintenant elle inspire confiance, même aux juges, ce qui, sans rien changer à la nature des faits, n’était pas le cas auparavant », souligne, avec une certaine émotion, le chorégraphe. Mais Lou Cantor, autant qu’Angelin Preljocaj, le rappelle : dès qu’arrive le moindre événement, ces actions culturelles s’interrompent immédiatement parce qu’en milieu carcéral, les impératifs restent ceux de la sécurité et de la surveillance.

    Philippe Verrièle

    En partenariat avec La Lettre du spectacle n°521

    Légende photo : Angelin Preljocaj

    Crédit photo : Julien Bengel