De la parité à l’égalité réelle : l’heure du passage à l’action

    parité

    Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) s’est engagé à publier chaque année son comptage concernant « la place des artistes femmes programmées dans le spectacle public ». Attendu pour le 17 octobre, il devrait permettre d’observer les évolutions depuis la première étude sortie en octobre 2021. Celle-ci posait alors un constat édifiant : seules 35 % de femmes programmées et 29 % d’autrices de spectacles. Un engagement qui témoigne de la « vigilance du syndicat sur ce sujet », note-t-on au Syndeac. La problématique est sensiblement la même concernant les concerts. Car la musique est loin d’être première de la classe en la matière. Une enquête du ministère de la Culture publiée en 2020 montre que, depuis cinquante ans, toutes les pratiques culturelles se féminisent, sauf la musique. « Dans une période où le secteur musical entier s’interroge sur la représentation des femmes dans les studios ou sur scène, La Nef vient se questionner naturellement sur le parcours des musiciennes en Charente », expose Typhaine Pinville, docteure en musicologie. Autrice de l’étude initiée par la scène de musiques actuelles d’Angoulême, restituée le 16 septembre, elle apporte un éclairage sociologique au sujet. Le point de départ : les filles sont aussi nombreuses que les garçons à apprendre la musique dans l’enfance, pourtant, à l’âge adulte, elles ne représentent que 15,1 % des usagers des studios de répétition et 17,4 % des artistes programmés, selon un rapport de la Fédération des lieux de musiques actuelles, publié en janvier 2021. Quelles sont les raisons de cette évaporation ?

    S’appuyant sur le recueil de données collectées auprès de 8 établissements, 150 élèves et 12 musiciennes, l’observation locale charentaise cherche à préciser les problématiques. Parmi celles-ci, d’abord des pratiques musicales très genrées : 14 % de filles à la batterie, 12 % à la basse, 17 % à la guitare, 54 % au piano et 64 % au chant. « Les filles interrogées optent surtout pour des instruments dits “féminins” (voix, piano-clavier, guitare) faisant directement référence aux stéréotypes de genre comme la fragilité, le calme, la douceur, la timidité ou encore l’intériorité » tandis que les garçons se tournent vers des instruments reliés à la force, à la technologie, au bricolage, lit-on dans l’étude. Puis, à l’adolescence, les filles se tournent vers un apprentissage encadré, plutôt qu’autonome au sein de groupes, dont elles ne représentent ensuite que 9 % des membres. Jusqu’à l’âge adulte, un long processus amène les filles devenues femmes à se délégitimer : « Cette auto-éviction, ce manque de légitimité les contraint à des parcours musicaux interrompus, s’effaçant doucement et dangereusement du paysage musical. » Il reste, à l’issue, peu de femmes musiciennes. « La plus-value d’une enquête locale est aussi de commencer à mettre cette question à l’ordre du jour des acteurs locaux, en objectivant les faits, précise Laëtitia Perrot, directrice de La Nef. Faire comprendre que ce ne sont pas des problèmes individuels mais systémiques. »

    Le Syndeac et La Nef appellent tous deux à un passage à l’action immédiat. « Il y a urgence, on ne peut pas attendre 15 ans et une ou deux générations pour faire évoluer les schémas », déclarait en 2021, Nicolas Dubourg, président du Syndeac. Parmi les préconisations de l’étude charentaise : la prise en compte des attentes des musiciennes quant à l’accompagnement, un cycle de mentorat, des initiations multi-instruments dès la petite enfance, rendre visible les femmes dans les différents métiers, organiser une large sensibilisation dans les lieux d’éducation, ou encore garantir des financements égalitaires. Il s’agit avant tout de produire un éveil conscientisé et de « fédérer autour d’actions communes de fond », sortir d’une logique purement comptable visant la parité pour « déconstruire les injonctions de genre et œuvrer pour une liberté éclairée visant des pratiques non-genrées », conclut Laëtitia Perrot. Une démarche qui intéresse déjà au plus haut niveau, ayant notamment recueilli le soutien du ministère de la Culture et de Reine Prat, haute fonctionnaire autrice de deux rapports ministériels sur l’égalité femmes / hommes dans la culture.

    Julie Haméon

    En partenariat avec La Lettre du spectacle n°523

    Légende photo : Répartition des formes de pratiques musicales selon le genre 

    Source : SMAC d’Angoulême