Orchestres et opéras : « Une fragilité d’autant plus grande à la rentrée »

    Loïc Lachenal

    Entretien avec Loïc Lachenal, président des Forces musicales, syndicat professionnel des opéras, orchestres et théâtres lyriques

    Avec le déconfinement, comment voyez-vous la reprise ?
    La date du 11 est une étape. C’est progressivement qu’on lèvera les verrous. Au sein des Forces musicales, nous menons un travail avec des médecins du travail, avec Audiens, le CMB, des scientifiques, pour voir dans quel cadre sanitaire nous devrons mettre en place la reprise. C’est ce qui nous dira ce qu’on pourra faire ou pas pour les musiciens, ensuite pour retrouver le public. Nous savons qu’il faudra maîtriser les flux, mesurer les rassemblements, la distanciation. Nous devrons nous adapter. On sent chez les musiciens une grande envie de reprendre. Pour nous, directeurs, cette envie est chevillée au corps. Mais nous devons être raisonnables. Nous portons une responsabilité du fait que des gens qu’on va convoquer vont voyager, avoir des interactions.

    Dans quelle situation économique se trouvent vos adhérents ?
    Elle sera à étudier de manière très précise d’ici quelques semaines. Pour l’instant, il faut être vigilant à ce que les subventions soient versées, à la manière de faire marcher de pair les mécanismes de protection et les subventions : pour les EPCC (établissements publics de coopération culturelle), les EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial), la question du chômage partiel n’est pas encore réglée, même si le ministre s’y est engagé. Je défends que les artistes et le personnel administratif de nos structures y ont droit. Ils cotisent à ce droit, on ne peut pas faire de distinction par statut juridique. La situation économique des maisons va dépendre de cette équation-là.

    Et dans la perspective de la rentrée ?
    La fragilité économique va être d’autant plus grande à la rentrée. Demain, nous serons dans une position d’aménagement. Il faudra annuler des choses qu’on avait déjà produites depuis deux ou trois ans et aménager une activité adaptée aux conditions sanitaires. Nous aurons peu ou pas de ressources de billetterie. La question est de savoir comment la crise va impacter l’activité : restrictions de places, distance entre musiciens, place des chanteurs sur scène, distance pour les chanteurs en chœurs... Aujourd’hui, on peut encore inventer des cadres. Fin juin, ce sera trop tard.

    Faut-il annoncer les saisons, lancer les abonnements ?
    Certaines programmations sont déjà sorties. D’autres sont en cours. Certains décident de suspendre les réservations. à Rouen, j’ai décalé la communication d’un mois, à la mi-juin. J’espère qu’on aura une situation stabilisée pour donner un aperçu réel de ce qu’on pourra présenter à la rentrée. Les réabonnements, c’est le socle de nos structures. La situation va être nouvelle, d’autant qu’on ne connaît pas les conditions d’accueil du public : combien de personnes pourra-t-on accueillir. Ni comment le public va réagir. Il ne faut pas être particulièrement angoissé. Une partie du public aura très envie de revenir. Mais ce virus a instauré une peur de l’autre qui résonne sur la propre peur intime de la maladie.

    Que deviennent les créations en projet ?
    C’est le plus compliqué. Notre domaine présente la complexité de rassembler des gens très différents pour des productions qui se travaillent plusieurs années à l’avance. La saison suivante était déjà faite, les reports s’envisagent sur une plus longue durée. Il y a des choses qui ne se feront pas. Le répertoire symphonique permet une plus grande adaptation, mais, pour les opéras, il y aura des annulations de créations et un effet de traîne, puisque les réseaux sont interdépendants. On a perdu au moins six mois d’activité. On ne pourra pas tout reporter. Avant même d’entrer dans le confinement, on s’est aperçu de l’extrême dépendance à la mobilité internationale des artistes. Nos projets ne peuvent exister que quand les artistes voyagent.

    Vous gardez courage ?
    On reste positif. La période a montré que la population avait autant besoin des artistes qu’auparavant. Nous sommes maintenant sur un chemin progressif de reprise avec une adaptation. Ce temps de reprise est économiquement compliqué. Le secteur du spectacle vivant devra être maintenu sous système d’aide et il faudra un plan de relance pour qu’il redémarre. 

    Propos recueillis par Yves Perennou

    En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°471 bis

    Crédit photo : D. R.