Milo Rau : un manifeste d’émancipation

    photo Milo Rau

    Sociologue, essayiste, metteur en scène, Milo Rau, né en Suisse en 1977, n’avait cependant jamais dirigé une grande scène. Il va s’y essayer à compter de la saison 2018/2019 au NTGent de Gand, en Flandre. Milo Rau est programmé au Festival d’Avignon avec la Reprise, histoire(s) du théâtre (I) qui va poser la question du traitement par le théâtre d’un fait divers réel, le meurtre homophobe d’Ihsane Jarfi, en 2012. Milo Rau est connu pour interpeller son public, pour éprouver la capacité du théâtre à appréhender le réel. Dès sa nomination à Gand, il a suscité une polémique en invitant des djihadistes repentis à monter sur scène dans son prochain spectacle. Le 1er mai, il a publié un manifeste en dix points, pour expliciter les règles de ce qu’il appelle le «théâtre de ville du futur». Le premier point constitue une proclamation de principe, et présente une idée de l’art dramatique comme acte politique doté d’une puissance agissante : «Il ne s’agit plus seulement de dépeindre le monde. Il s’agit de le changer. Le but n’est pas de représenter le réel, mais de rendre la représentation elle-même réelle.» Cette volonté est à rapprocher de projets antérieurs de Milo Rau, telle sa General Assembly à la Schaubühne, qui entendait interroger l’absence de représentation démocratique de la communauté mondiale en formation. Le reste du Manifeste de Gand est destiné à changer les processus du théâtre, avec des contraintes qui peuvent se résumer ainsi : ouverture, inclusion, mobilité. Pour être en prise avec le présent, le théâtre doit pratiquer la transparence, désacraliser le répertoire, s’ouvrir à la création de plateau et aux comédiens non professionnels. Le plurilinguisme doit devenir la norme et les créations, aux scénographies aisément transportables, doivent être représentées à l’étranger, y compris dans des zones de conflit. Pour Milo Rau, ces règles aboutissent à «un théâtre ambulant, ouvert au monde et au public». Ce manifeste, malgré sa radicalité et sa volonté de rupture, n’a pas suscité de vive opposition. D’autres metteurs en scène ont accepté de se plier à ces règles, tels Luk Perceval ou Miet Warlop. Milo Rau, en sociologue, voit son manifeste artistique comme une entreprise d’émancipation : «Formuler ses règles, c’est se libérer

     

    Mathieu Dochterman

    Crédit photo : Thomas Mueller

    Article paru dans La Lettre du Spectacle n°430.