Hauts-de-France : les artistes investissent les usines en grève

    Stéphane Titelein

    En quelques heures, la boucle WhatsApp lancée jeudi 23 mars par le metteur en scène et acteur Stéphane Titelein a fédéré plus de 130 professionnels du spectacle vivant des Hauts-de-France. Le nom du groupe : « Qui peut faire quoi ou jouer quoi dans une usine en grève ? ». Très vite, comédiens, circassiens et musiciens proposent des interventions. Les idées fusent. « On pourrait faire une lecture de Faut pas payer !, de Dario Fo, suggère Louise Wailly, auteuse et metteuse en scène de la compagnie Proteo. Julie Duquenoy signale dans la foulée que le collectif Éternel instant « est partant ». Julien Emirian de la compagnie Tout le monde dehors, est le premier à se lancer sur le terrain, pour soutenir les ouvriers du piquet de grève du Vert Baudet, le groupe de vente par correspondance en lutte depuis dix jours. Très rapidement, le comédien et metteur en scène Maxime Séchaud, délégué CGT-Spectacle dans la région, assure un lien avec les piquets de grève là où il y en a, pour tenter de coordonner les bonnes volontés et de mettre en rapport artistes et grévistes « J’ai des contacts avec les Unions locales et départementales, ça aide à avoir les infos, précise-t-il. Il lance également l’idée d’un « cabaret des luttes » qui serait « une journée complète avec des projections, des petits formats, un concert... » à la Bourse du travail de Lille le 8 avril.

    Soutenir les électriciens, les éboueurs, les ouvriers par des interventions artistiques sur les lieux même de la lutte, tout cela réjouit au plus haut point Gilles Defacque, 77 ans, figure lilloise incontournable. Le fondateur – en 1973 – du Prato, théâtre international de quartier, labellisé par la suite pôle national de cirque, a évidemment été parmi les premiers à proposer ses services : « J’ai fait le clown dans des usines occupées il y a bien longtemps, se souvient-il. Il existe dans cette région un pont, un lien entre les artistes et le monde ouvrier. La création n’est pas hors sol. » Et les artistes très engagés, comme le constate Maxime Séchaud, qui représente la nouvelle génération. « Il n’y a pas forcément beaucoup d’artistes en grève c’est vrai, mais nous avons toujours des cortèges culturels importants dans les manifestations contre les retraites et dans les cortèges en général. » L’instigateur du groupe, Stéphane Titelein, est bien sûr satisfait. « Tout part d’une soirée au Théâtre du Nord que David Bobée avait ouvert après une manif. Il y avait beaucoup de monde, ça discutait et arrive la question : et nous, artistes, gens de spectacle, qu’est-ce qu’on peut faire ? Je me suis dit qu’on était, aussi, l’art de la fête, et que nous pouvions embellir les jours de grève en allant dans les usines. »

    Un témoignage l’a conforté : « Quelqu’un se souvenait de son pépé qui avait vu Jean Ferrat en 1968 dans son usine et en parlait comme du plus beau jour de sa vie. Je me suis dit qu’on pouvait apporter de la gaîté dans le bazar. » En militant de longue date de l’éducation populaire, Stéphane Titelein place aussi l’action des artistes nordistes dans les traces du groupe Octobre de Jacques Prévert qui allait jouer du théâtre dans les usines occupés dans les années 1930. « Les artistes et les ouvriers, nous avons des choses à nous raconter. Après tout, nous sommes les prolétaires dans ce métier. »

    Bruno Walter 

    En partenariat avec La Lettre du spectacle n°535

    Légende photo : Stéphane Titelein

    Crédit photo : Kalimba