François Gabory : « Je pars avec une grande satisfaction et un énorme attachement au réseau Chainon »

    François Gabory

    Le président du réseau Chainon depuis plus de quinze ans quittera les commandes  en fin d’année. De l’arrivée du festival à Laval à la multiplication par 5 du nombre d’adhérents, il retrace pour La Lettre du Spectacle une aventure singulière qui a fait du Chainon manquant  un « petit Avignon » au cœur de la Mayenne. 
     

    Vous présidez le Chainon depuis 15 ans…
    Ça fait même presque 16 ans. J’ai pris la présidence juste avant 
    que notre festival, le Chainon manquant, s’installe à Laval (Mayenne), en mars 2010. Je suis des Pays de la Loire [il était à cette date directeur du Jardin de verre, à Cholet, NDLR] et j’ai un peu initié cette arrivée dans la région. C’était assez logique que je devienne président à ce moment. Rester quinze ans à sa tête, en revanche, je ne l’avais pas prévu. Ça s’est fait comme ça. Je me suis beaucoup investi pendant dix-douze ans, moins ces dernières années dans ma fonction de président aussi parce que j’ai changé de travail [il est depuis 2022 directeur culture de la Cité des Congrès de Nantes et administrateur général de la Folle Journée, NDLR]. Il n’était pas du tout question que je reste 20, 30 ans, ça n’avait aucun intérêt.

    Comment a évolué ce réseau ?
    Par paliers. Quand nous sommes arrivés à Laval, il n’y avait plus que 80 adhérents dans le réseau, aujourd’hui nous sommes 400. À l’époque, le festival était en perte de vitesse et le réseau aussi en ce qui concerne l’image. Cahors, où avait lieu le festival, c’était loin pour tout le monde. Laval a été une opportunité géniale : il y a le TGV, c’est à une heure et quart de Paris, dans une région culturellement dynamique avec des équipements de qualité et une vraie volonté de la Ville et des acteurs culturels d’accueillir le Chainon manquant, qui a vraiment une identité lavaloise aujourd’hui. Toutes les planètes se sont alignées à cette époque. En plus, en concernant l’accueil des programmateurs et des artistes, nous avons ici de bonnes conditions, ce qui n’était pas le cas à Cahors ou à Figeac, où on montait beaucoup de chapiteaux. 

    Il y a ce festival, mais aussi  un réseau important…
    Nous avons retrouvé une vitrine, une crédibilité pour ce réseau, souvent appelé « le petit Avignon ». D’une certaine manière ça l’est, même si ça peut ressembler à un élément de « com » dit comme ça. Nous avons surtout une programmation qui tient la route. L’arrivée de Kevin Douvillez (en 2015), directeur artistique, nous a beaucoup aidés en ce sens. Nous avons aussi simplifié notre raison d’être avec le conseil d’administration, pour être un réseau de diffusion, et non un syndicat bis. C’est ce qui nous a permis de renouer avec le ministère de la Culture. Aujourd’hui, la DGCA nous aide à hauteur de 160 000 euros, dont 60000 euros en plus cette année. C’est une reconnaissance. Nous avons fait avec la DGCA un vrai travail partenarial qui s’est construit au fil du temps avec une attention précise sur ce qu’on faisait. Chaque année, c’est quand même 1 000 à 1 200 dates qui sont achetées pendant le festival. Nous avons un crédit qu’on n’avait plus il y a 15 ans, la reconnaissance des professionnels. 

    C’est ce qui permet de tenir quand la région Pays  de la Loire se désengage complètement ?
    C’est exactement ça, si nous n’avions pas un réseau solide – nous avions déjà expérimenté ça puisqu’on a été le premier festival à se maintenir à la fin de la période Covid – nous n’aurions pas réussi cette dernière édition (La Lettre du Spectacle, le 3 octobre). Nous avons eu deux enjeux après ces coupes de subvention : préserver l’emploi des quatre salariés et organiser le festival. Le ministère de la Culture nous a accompagnés un peu plus, ce qui nous encourage à maintenir notre travail. Nous voyons, du point de vue professionnel et du côté réseau, un véritable attachement à ce festival très bien placé dans le calendrier, où les gens se sentent bien, avec une convivialité naturelle. 

    Et ce coup de la Région ?
    Nous sommes venus en Pays de la Loire parce que l’ancienne majorité régionale, que nous avions sollicitée, voulait accueillir un tel festival sur son territoire. Nous sommes arrivés avec 200 000 euros de subventions. Avec la bascule de majorité, on est passé de 200 000 à 161 000 euros. Puis de 161 000 à 0 euro. Je l’ai en travers de la gorge, comme tout un tas d’acteurs. Nous n’oublierons pas ce qui s’est passé, c’est clair. Et puis, il y a la baisse de subventions, mais aussi le mépris. Je n’ai été appelé par personne. Ce qu’ils ont fait est absolument lamentable pour tous les acteurs du réseau qui sont des bénévoles.

    Le budget, c’est un enjeu ?
    Oui, il y a cet enjeu de retrouver un budget à la hauteur des ambitions du réseau. Mais il y en a d’autres. Nous avons un rôle majeur dans la diffusion culturelle en France. Nous devons aussi mieux travailler la porosité des réseaux afin qu’il y ait plus de partenariats, par exemple avec la musique classique ou baroque. Cela peut vraiment être un espace de rencontre des différentes esthétiques. Et il y a un travail à l’international à développer au-delà de notre réseau francophone. Enfin, le festival dure quatre jours, il y a matière à proposer davantage de spectacles que les 65 propositions actuelles pour aller à 80 propositions. Ce sont vraiment des questions de moyens, car nous payons tous les artistes. Ensuite, le réseau peut encore grossir, mais avec certaines limites : il ne peut pas y avoir une hégémonie avec 1 000 adhérents, ça n’aurait pas de sens. Toutefois, il y a encore des régions sur lesquelles nous ne sommes n’est pas ou très peu présents comme la Bourgogne-Franche-Comté. Mais le réseau est solide, bien structuré avec un conseil d’administration et un bureau très mobilisé. 

    Des successeurs ?
    Aujourd’hui, « aux manettes », ce sont Audrey Levert (vice-présidente), Benoît Betchen (vice-président) et Éric Wolff (trésorier). Je ne sais pas comment ils souhaitent organiser la suite, mais c’est parmi eux qu’on trouvera soit une présidence ou une coprésidence, je sais qu’ils y réfléchissent. Je me suis retiré de ces débats.  Avec le départ de Kevin Douvillez, c’est une fin de cycle et le bon moment pour mon départ. Je n’ai pas participé au recrutement du nouveau directeur artistique, Antoine Thibault, mais j’ai donné mon avis en son sens. Je sais qu’il est vraiment dans une logique de travailler en collaboration, de se nourrir de ce que sont tous les collègues, de leur expertise… Le rôle du directeur artistique est aussi d’être un entonnoir : on lui amène toutes nos idées, il a les siennes et il doit filtrer le tout pour sortir, en cohérence, le reflet de ce que nous sommes. Et ça, Kevin Douvillez l’a parfaitement fait. Il a été un grand directeur du Chainon manquant. 

    Quel sera votre dernier jour de président ?
    Il y aura un conseil d’administration avant Noël qui élira la nouvelle présidence. Je resterai adhérent de base. Cela a été 16 années superbes, je suis assez fier de tout cela, mais j’ai une certaine fatigue. Je pars avec une grande satisfaction, aucun regret, et un énorme attachement à ce réseau. Ce fut une superbe aventure. 

    Propos recueillis par Jérôme Vallette

    En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°590

    Légende photo : François Gabory

    Crédit photo : François Parmentier